top of page

Sublime et pittoresque

Jardin à l'anglaise : création d'un paysage quotidien et d'un paysage d'exception  

 

Les sociétés humaines sont depuis toujours attachées à l’agencement visuel de leurs environnements. La définition du mot «  Landscape » en anglais britannique   illustre bien cette attachement à la spatialité : une vue d’une scène d’arrièrepays, un décor de campagne offrant une vision du relief dans son ensemble. Le paysage comme toile de fond est en étroite relation avec la peinture. A la renaissance, il fait son entrée par une fenêtre dans un coin de tableau annonçant son imminente apogée durant les périodes classiques et romantiques. Le paysagisme en tant que genre pictural prendra toute son ampleur au point d’émouvoir les artistes. Par ailleurs, le paysage dissimule une diffusion et une démocratisation d’un modèle culturel d’une époque. La mode des jardins à l’anglaise du 18éme siècle traduit un nouvel art de vivre de la noblesse et de la nouvelle bourgeoisie, à savoir le modèle de la demeure à la campagne ; la maison de ville n’étant qu’un pied à terre. La nature n’est donc plus dominé par l’Homme mais elle est désormais le partenaire idéale du paysagiste, qui par son observation et sa compréhension lui fournit un inépuisable intérêt. 

Le courant paysager pittoresque marque une rupture avec les jardins réguliers et sa domination de la nature .C’est une époque charnière  en profonde mutation social où la noblesse acquiert de nouvelle terres et accèdent à d’avantage de droits comme la propriété privé. En somme, les jardins pittoresques sont  une révolution dans l’histoire paysagère puisqu’ils ouvrent les portes d’une nouvelle vision de l’esthétisme qui prête une intention particulière à la nature et aux paysages vallonnées de l’Angleterre du 18éme siècle. Pourtant, l’origine du terme pittoresque signifie en premier lieu un élément qui convenait d’inclure dans un tableau pour qu’il fasse partie intégrante de la représentation. Cette définition du pittoresque apporté par le monde picturale mérite une réflexion sur la composition des jardins pittoresques. En effet, la peinture a profondément influencé l’art des jardins.  Ainsi les éléments naturels vont être mis en valeurs par l’ajout d’artifices afin de créer un joli  paysage : Exemple des champs de maïs (John Dixon Hunt, jardins et pittoresque) .Ces pièces apportés au paysage existant vont créer une illusion de naturel.  


Les jardins pittoresques sont des produits d’artifices crée par l’Homme et pour l’homme afin de recréer des brides de paysages quotidien. Les jeux des jardins à l’anglaise sont confectionnés de toute pièce : un ruisseau traverse le domaine et découle sur une vaste étendue d’eau calme. Un petit pont chevauche le ruisseau renforçant le réalisme de la scène; le spectateur se trouve ébahi par la beauté du paysage qui s’offre à lui. L’invention du «  Haha » en composition paysagère est sans nul doute la plus astucieuse ruse du paysagiste du 18eme pour créer un leurre visuel en  offrant l’effet d’une pelouse continue sans coupures. La volonté humaine de moduler le paysage en recréant des éléments emprunts à la nature sont retranscrites dans plusieurs éléments propres au jardin pittoresque. Par exemple, l’ouverture sur le paysage environnant par de larges pelouses ondulantes reconstitue un semblant de déjà vu pour le spectateur : le paysage quotidien des campagnes Anglaises.  


L ’Homme est au cœur de la théâtralité des jardins pittoresques. Par l’agencement de l’espace, le théâtre a profondément marquait les concepteurs de jardins tel que William Kent qui a travaillé aussi bien pour le théâtre et les jardins. La profondeur des champs visuels se tient  au centre de la composition paysagère puisqu’elle offre la possibilité de créer différents plans rideau se chevauchant gracieusement, sans que  l’on en perçoive les limites. Par ailleurs, cette corrélation entre art des jardins et théâtre  se ressent dès lors que l’on compare les peintures de l’époque et le pittoresque. En effet, le paysage joue le rôle de toile de fond d’une action en cours de déroulement où L’Homme est spectateur et acteur du jardin. L’illustration de William Kent : quelques pas vers du Poly-Oblion de Mister Drayton (John Dixon Hunt) exprime bien cette idée de théâtralité du pittoresque où des jeux de renvois visuelles invitent les visiteurs à se déplacer dans le jardin.  


Aussi, la compréhension des jardins pittoresques du début du 18eme est intimement lié à une bonne connaissance picturale et  de nombre d’œuvres classiques (texte de l’antiquité /mythologie/renaissance italienne). Il en va de soit que la mode pittoresque semble réservée aux yeux les plus aguerris de la noblesse de l’époque. En effet, on retrouve des pièces anecdotiques faisant allusion à des œuvres déjà existantes (Lion attaquant le cheval, Jardin de Rousham par William Kent) Cette attachement du pittoresque au clin d’œil picturales va provoquer son déclin. La sphère de la haute société anglaise va changer de visage avec l’émergence d’une nouvelle bourgeoisie, dont la connaissance iconographique est moins développée. La citation de Joseph Warton traduit bien cette transition : «  Les jardins ornée par les vaines pompes de l’art pour des taillis hantés par les grives ».La place de l’individu dans le paysage, ses sentiments et l’expérience de chacun face au paysage prendront d’avantage d’importance.   
Là où le locus amoenus se contente de créer une sensation de bienêtre dans les paysages pittoresque ; le locus horidus va apporter une toute autre vision de l’esthétisme : le sublime.  

C’est dans un contexte philosophique particulier (KANT)  et rejetant les théories cartésiennes que la notion de sublime et Jardin sublime voit le jour.  Cette notion abstraite n’est qu’identifiable que lorsque l’on en fait l’expérience. Toucher au sublime provoque perte de la raison, révélant l’instinct de survie présent dans chaque individu. Le corps se confond avec l’environnement et le paysage, l’esprit se perd dans l’inconscient. La conception des jardins où il était possible de faire expérience du sublime, vont se développer dès le  milieu du 18éme siècle et sont intimement lié aux paysages d’exceptions qui ont marqués les artistes lors du Grand tour. Le paysage devient un jeu pour les spectateurs puisqu’ils s’y perdent en se laissant guider par leurs instincts au fur et à mesure des découvertes de scènes paysagères. Les spectateurs  et acteurs  des paysages sublimes sont  immersion totale avec ces derniers, faisant face à des édifices les plus inimaginables  les uns des autres ainsi que des combinaisons spatiales originales pensés par les paysagistes de l’époque.  Les grandes dimensions seront développées dans les jardins à l’anglaise puisqu’elles sont cause de sublime. Les grandes hauteurs et les profondeurs (précipices) provoquent d’avantage de sensations en menaçant l’existence du visiteur des jardins. Pour autant, les vastes étendues, tel que  les horizons permet la libération de l’esprit :

On perçoit « le grand pouvoir du sublime qui loin de résulter de nos raisonnement ; laisse le corps prend le dessus sur l’esprit et entraine dans une force irrésistible » (Burke, origine du sublime).

 

L’infini sera également un thème développé par la mise en place d’horizons dans les paysages sublimes, puisqu’ils provoquent un mystère  où rien ne perturbe l’imaginaire. Les terres de légendes tels que les montagnes Galloises étaient une source d’inspiration pour les paysagistes de l’époque (conception du parc de Hawkstone) ;lieux inconnu, où  peur et de mystère règnent. La conception de paysage sublime met en place de nombreux jeux de contrastes. Des plaines lumineuses en alternance avec des zones sombres boisée où d’un où l’on approche un Hermitage crée de toute pièce, contribue à surprendre émotionnellement le spectateur.

 

Somme toute, la révolution du Jardin à l’Anglaise a contribué à inverser la pensée paysagère puisqu’elle intègre désormais les composantes spatiales des lieux en vue de recréer de beaux paysages quotidiens d’une part et d’autre part de sublimes paysages d’exception. Pour autant, les jardins à l’anglaise excellent dans la maitrise technique puisqu’il opère à une modification de l’environnement déjà présent, en sublimant un paysage existant par le génie des Hommes, pour le plaisir des yeux et de l’esprit.  Il s’agit d’un paradoxe avec le courant de pensée naturaliste prônant  une inspiration du naturel  et réfutant l’artificialisation des jardins à la Françaises. Mais que reste-t-il des paysages initiaux des campagnes anglaises après le remodelage opérait par les paysagistes de l’époque ? La pensée paysagère du 18ème  siècle bien que révolutionnaire ne possédait pas toutes les connaissances  pour laisser la nature s’exprimer. Les jardins en mouvement de Gilles Clément sont doutes une réelles avancés en matières de théories contemporaines du paysages puisqu’elles harmonisent les réflexions conceptuels du paysagiste et le hasard de la nature.

 

 

Bibliographie

 

Geoffrey and Susan JELLICOE, The landscape of man: shaping the environment from prehistory to the present day, The English School, Thames and Hudson, Londres, 1975  

Jean-Pierre LE DANTEC, Larousse, Paris, 1996, Lumières et préromantisme: l’invention du jardinisme paysagiste Larousse, Paris, 1996

 

Edmund BURKE, « Recherche philosophique sur l’origine de nos idées du sublime et du beau » 1756 

 

Malcolm ANDREWS, « Le sublime comme paradigme : Hafod et Hawkstone Flammarion, Paris

John DIXON HUNT, « Ut pictura poesis : jardins et pittoresque en Angleterre (1710-1750)»,Flammarion,Paris
 

bottom of page